Plantation de 8 000 hectares de forêt en Colombie. (#003)
Dans l’immense désert humide des Llanos en Colombie, rien ne pousse en-dehors de quelques herbes très pauvres en nutriments. Au milieu de cette terre de Caën, un homme croit pourtant au développement durable d’une société quasi auto-suffisante. Il rêve de solutions colombiennes et non de techniques importées de l’Europe ou des États-Unis.
Il se nomme Paolo Lugari. 30 ans plus tard, 8 000 hectares de pins de caraïbes recouvrent cet ancien désert.
Article issu de www.habiter-autrement.org
L’utopie existe, elle s’appelle Las Gaviotas
Penser autrement, cultiver l’interdépendance pour sortir du conventionnalisme et instaurer une société équilibrée, durable et prospère.
Etat des lieux – Enjeux
« Dans notre capacité intellectuelle acquise, il reste des séquelles de notre apprentissage sur comment exploiter [les espaces naturels] ; des séquelles qui étaient influencées par la culture et la technologie des pays ayant 4 saisons, qui n’ont aucune relation avec les milieux tropicaux, où la nature travaille par saison et non de façon continue, comme entre les tropiques du Cancer et du Capricorne.
Après 200 ans d’indépendance latino- américaine, nous sommes avec des indices de développement loin derrière ceux des Etats- Unis, alors qu’avant, c’était exactement le contraire. [...]
A mon avis, les causes fondamentales sont la fascination pour les modes de vie européens, le fait d’avoir transféré ses technologies si inappropriées à ce continent de l’Amérique Latine, la fragmentation en plusieurs républiques ayant de nombreux problèmes entre elles, la rigidité sociale, le manque de mobilité, les obstacles à la créativité, la conviction que nous sommes incapables de créer et l’absence d’auto-estime.
Une des causes principales de ce scénario est que nous ne « tropicalisons » pas. [...] Nous n’entrons pas dans une rationalité tropicale avec notre cerveau, et nous continuons à être des wagons et non des locomotives. » Discours du docteur Paolo Lugari Castrillón, fondateur et directeur du centre Las Gaviotas, à la fondation Santillana, en août 2007.
En Colombie, la région Vichada est un exemple de ces territoires peu développés, à cause d’une duplication des modes de vie européens, apportés par les Espagnols.
Depuis 450 ans, à cause de l’élevage extensif déséquilibré avec l’écosystème, les terres ont été déboisées, ce qui les a rendues stériles et hostiles. Dans cette région où les longues périodes de chaleur sont suivies par quelques mois de pluies diluviennes, la population, très éparse, souffre de nombreuses maladies gastro-intestinales, dues au manque d’eau potable. Les habitants souffrent aussi de la violence du narcotrafic. Tout ceci pousse les jeunes à quitter la région pour aller gonfler les banlieues des grandes villes.

Solution
Dans cette région de la frange tropicale qui coïncide avec la frange de la pauvreté, dans le bassin de l’Orinoco colombien, Paolo Lugari a créé la fondation Las Gaviotas sans but lucratif en 1971. Il s’agit d’un centre d’investigation pratique pour lutter contre la pauvreté et contribuer à la stabilisation du climat.
Paolo Lugari et ses compagnons ingénieurs, paysans, scientifiques, écologistes, poursuivent un mode de pensée transversal, utilisant l’art, les sciences, la politique, les technologies, dans un projet local et tropical, avec des critères globaux pour passer du rêve à la réalité dans une harmonie productive avec la nature.
Dans ce micro monde de Las Gaviotas, le style de vie ouvre des opportunités de changement et teste la création d’un monde durable en évitant le conformisme et les idées reçues. Place à la créativité et à l’optimisme.
Le travail a commencé par des recherches en termes d’énergies renouvelables sur les chauffe-eau solaires et les éoliennes pompeuses d’eau, en partenariat avec Mario Calderon et la banque BCH. Pour combattre la calvitie terrestre, de 1984 à 1998, 8 000 ha de pins caribéens ont été plantés. Grâce à la symbiose entre le champignon mycorrhizal fungus et le pin des Caraïbes, seule espèce pouvant pousser dans cette région improductive depuis des centaines d’années, les plants ont pu prospérer sur ce terrain acide où peu de gens pensaient voir un jour naitre et grandir une forêt.

En plus de préserver la biodiversité du lieu, ces forêts, en recréant un espace de vie, restaurent la biodiversité. En 1997, plus de 250 espèces de plantes ont été recensées dans ces forêts. Avant la 10ème année, 500 des 1100 arbres/ha ont été retirés pour laisser de l’espace. Ceci permet aux oiseaux, abeilles, vent, et semences dormantes de repeupler les 15 cm de terre végétale, recréée par l’ombre des arbres et la limitation de l’érosion, ce qui, à terme, reconstitue ainsi une forêt naturelle.

Grâce à cette nouvelle forêt, les pluies ont augmenté de 10%, fournissant 13,75 m3 d’eau supplémentaire/jour (statistiques météo). Cette eau est mise à disposition des riverains gratuitement.
Sur le site de Las Gaviotas, un hôpital a aussi été construit. Il est bioclimatique avec ventilation naturelle, système de production d’énergie renouvelable, réfrigération solaire, etc. Sa technologie est simple, son usage est pratique, et les coûts de construction et maintenance sont inférieurs au prix du marché. Seulement, comme des centaines d’autres hôpitaux en Colombie, il a du fermer suite à une loi exigeante, sur les conditions d’hygiène.

D’une très bonne qualité, grâce à la filtration qu’elle subit dans la couche de sol reconstituée par les forêts, cette eau constitue un outil de prévention pour les maladies gastro- intestinales que subissent les habitants de la région (70 % des maladies de cette région). Ainsi au lieu de soigner à l’hopital, on soigne en amont en fournissant une eau de qualité.
Les surplus de cette eau sont vendus dans les magasins Juan Valdez, dans toute la Colombie.

Les 8 000 ha de pins sont aussi source d’une résine de bonne qualité. 7 à 14 g/jour/arbre sont récupérés puis industrialisés sur place pour produire 6 produits différents (colofonia, trementina, etc.) constituant les bases pour fabriquer des peintures, des chewing-gums ou encore du papier. La résine dont la Colombie a besoin est importée de Chine, du Venezuela ou du Mexique.

Fruit d’une donation de 2 millions de dollars du Japon, l’usine de transformation de la résine permet l’obtention d’une des meilleures résines du marché mondial. Cette résine est distillée grâce à l’énergie tirée de la combustion des pins retirés de la forêt. Puis elle est emballée dans une boîte en carton recyclé, dessinée en sorte que le produit puisse être coulé à chaud et manipulé facilement. Cet emballage, recyclable encore une fois après utilisation, a reçu le prix national de l’innovation en emballage industriel.
Les sacs en plastique, utilisés pour récupérer la résine des pins, sont recyclés en canalisations et la résine récupérée de ce processus, permet 1,2% de production supplémentaire (soit l’équivalent d’un jour de récolte par an).
Les déchets de ce recyclage servent à réaliser des briques de terre, résistantes à l’eau. La communauté de 200 personnes de Las Gaviotas, produit toute l’énergie qu’elle consomme de façon renouvelable. Eoliennes, capteurs solaires thermiques et phovoltaïques, micro hydraulique, biomasse, et agro combustibles permettent de se substituer aux énergies fossiles. Plantés en polyculture avec du café, des pins, en respectant des proportions naturelles, 400 ha de palmiers donnant de l’huile dont on tire un carburant,permettent d’alimenter les véhicules de la communauté. En produisant et transformant cette matière sur place, en Colombie, les transports sont minimisés – Photo Las Gaviotas Les efforts de minimisation d’émissions de CO2 et le stock de carbone reconstitué par la reforestation, permettent au centre de Las Gaviotas, depuis octobre 2007 de valoriser ce carbone, via un processus de compensation. Co-orchestré par la fondation ZERI et le Marion Institut, le site de carbon offset offre la possibilité de compenser 144 000 t de CO2/an. Outre les travaux initiaux de reforestation, de construction des locaux bioclimatiques, etc. Las Gaviotas fournit un emploi à temps complet, à près de 200 personnes, à travers la récolte et la transformation de la résine, la production et l’emballage de l’eau, la production de panneaux solaires, l’entretien des forêts, la production d’agro-carburant, etc.

Ces activités rapportent des ressources, permettant l’autofinancement du centre Las Gaviotas et l’investissement pour les projets. Les employés sont bien payés et les services de santé sont gratuits. Depuis plus de 20 ans, grâce à un pouvoir décentralisé et organisé de façon horizontale, une satisfaction des besoins quotidiens, une diminution de la pauvreté, de l’emploi durable, la région de Las Gaviotas ne subit plus de violence, ni d’enlèvements.
Une école donne un enseignement bilingue pour permettre aux habitants indigènes de ne pas perdre leur culture. Las Gaviotas a fait couler beaucoup d’encre (livres et une pièce de théâtre «Enthousiasme» de Robin Lane) et a été remarqué entre autres comme exemple n°1 de la conférence mondiale des Nations Unies sur la coopération technique entre pays en développement, Buenos Aires (1978), mention d’honneur de la société colombienne d’architectes (1983), prix mondial Zéro Emissions de l’université des Nations Unies de Tokyo (1997). En mai 2007, l’université Carnegie Mellon (Pittsburg, PA, Etats-Unis), a décerné à Paolo Lugari, le Doctor Honoris Causa en Science et Technologie. Paolo Lugaro est le premier latino-américain à recevoir cette distinction.
Pour aller plus loin : Aiguiser la créativité
Pour diminuer les besoins en énergie ou gagner en efficacité, le centre de Las Gaviotas imagine, dessine et produit des technologies appropriées aux besoins identifiés. La période de plantation ne peut durer que 3 mois/an, ainsi une machine a été inventée pour répondre à ce besoin et planter vite.


Pour protéger les forêts des incendies et permettre des mesures scientifiques, un Zeppelin a été dessiné puis construit par Las Gaviotas. De la taille d’un poids lourd, pesant moins d’une tonne, le dirigeable atteint une vitesse de 100 km/h pour un coût inférieur à 86 000 euros.
Freins
D’après Paolo Lugari qui croit en la beauté de l’extrême difficulté, « le développement durable est possible même dans les circonstances les plus extrêmes, où les conditions d’éloignement, de manque [de ressources] et d’insécurité sont des crises pouvant être converties en opportunité ».
« Il faut utiliser la force de la biodiversité, car il est impossible de résoudre un problème avec une seule solution ».
Perspectives
Las Gaviotas est devenu un centre d’innovation et de créativité dans un endroit où il n’y avait rien. De l’observation des forces et faiblesses de la réalité tropicale, des solutions imaginées localement ont résolu des problèmes locaux. L’instauration de la confiance au sein de la communauté, grâce à l’écoute des autres et à la patience, amène dévotion et détermination, permettant de voir une initiative réussir dans un contexte difficile. Ainsi «quand il y a imagination, enthousiasme et compréhension, il est possible de convertir des crises en opportunités», d’après Paolo Lugari.
L’exemple de Las Gaviotas montre que la coopération doit prendre le dessus sur la compétition. C’est à travers l’interdépendance que la réussite arrive et non à travers l’indépendance. L’exemple de l’insignifiant champignon qui permet à une forêt de pouvoir prospérer est une bonne leçon de la nature. D’après l’exemple de Las Gaviotas, il est solide et prospère de travailler à plusieurs buts avec plusieurs solutions, via des programmes intégrés et concertés, mis en œuvre par des compétences complémentaires et diverses, avec plusieurs sources de financement. Cela permet de créer un futur durable où la société est capable de remplir les besoins basiques en eau, nourriture, soins médicaux, logement, énergies, emplois et éducation avec des ressources locales.
Février 2009
Béatrice Louis et Guillaume Mouton
Projet EcoAmerica – www.nature-propre.org
Contacts : Friends of Gaviotas : www.friendsofgaviotas.org
Gaviotas Carbon Offset : www.gaviotasoffsets.org